Chloé Aurard écrit l’histoire du hockey sur glace français

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Les camps d’entraînement de la Ligue Professionnelle de Hockey Féminin (LPHF) vont commencer le 15 novembre 2023. C’est une étape historique pour la ligue car cela va marquer le début sur glace officiel de cette nouvelle ligue. Avant cela, la création de la LPHF à l’été 2023 a été historique en soi avec sa promesse d’une structure réellement professionnelle tant attendue pour les meilleures joueuses de hockey au monde. Le repêchage inaugural qui a eu lieu le 18 septembre 2023 était également historique car il a permis à 90 joueuses d’être repêchées par les « Six originales », les six équipes qui forment la ligue : Boston, Minnesota, New York, Toronto, Ottawa, et Montréal. Parmi elles, Chloé Aurard a été sélectionnée au quatrième tour, troisième européenne et 21e au total, par New York et sa sélection était tout autant historique. Si vous ne la connaissez pas, Aurard vient de la France et une joueuse française sélectionnée par une équipe de la LPHF est tout simplement historique.

Le repêchage, retransmis en direct depuis Toronto, a rassemblé les meilleurs espoirs de la ligue et la plupart des agents libres qui avaient déjà signé leur contrat, incluant les vedettes Marie-Philip Poulin, Sarah Nurse, et Abby Roque. À la fin de cette journée 108 joueuses, 18 par équipe, faisaient partie de la LPHF. Sans surprise, une grande majorité des 108 joueuses, 95 joueuses pour être précise ou 88 %, venait du Canada ou des États-Unis. Sans surprise, Taylor Heise est devenue la première joueuse repêchée quand Minnesota a ajouté la jeune attaquante américaine à son équipe après avoir signé trois agentes libres de l’équipe nationale américaine. Sans surprise, Alina Müller de la Suisse, deux fois dans le top 3 pour le prix Patty Kazmaier en 2020 et 2023, a aussi été sélectionnée au premier tour, et la seule joueuse en dehors de l’Amérique du Nord sélectionnée dans les trois premiers tours. La sélection d’une joueuse française, cependant, était une surprise. Ce n’était pas une surprise d’un point de vue sportif. Après tout, Aurard a joué avec Müller à l’Université Northeastern et ses statistiques dans la NCAA étaient impressionnantes : 89 buts et 115 passes décisives pour 204 buts en 167 matchs. Mais avoir une joueuse de la France sélectionnée tout court, qui plus est au quatrième tour, était une grosse surprise.

Pour comprendre à quel point la sélection de Chloé Aurard est une surprise, soulignons quelques faits et chiffres additionnels du repêchage. Aurard était la seule joueuse française qui avait soumis son nom pour le repêchage cette année. La française était l’une des 27 joueuses sélectionnées qui jouaient en NCAA (États-Unis) ou U Sports (Canada) en 2022-2023. C’est 25% des joueuses de la LPHF qui ne jouaient pas au niveau professionnel la saison dernière par opposition à 75% des joueuses en provenance de la PWHPA, PHF, ou SDHL. Elle est également une des 13 joueuses (12%) ne venant pas d’Amérique du Nord. Parmi elles, cinq joueuses de la Tchéquie ont été sélectionnées au total, la Tchéquie étant logiquement récompensée pour ses médailles de bronze au Championnat du monde de la IIHF en 2022 et 2023. En outre, deux joueuses de la Suède et deux de la Finlande ont été repêchées, ces deux pays étant des habitués des Jeux Olympiques et des Championnats du monde de l’IIHF, même si la Suède a été brièvement reléguée à la Division 1A en 2019. De plus, la Suisse de Müller a fini à la quatrième place des trois derniers Championnats du monde et même remporté une médaille de bronze aux Olympiques de 2014 (Müller est un membre important de l’équipe depuis 10 ans). Le contraste est marquant avec la France d’Aurard qui a participé aux Championnats du monde féminin de l’IIHF deux fois seulement, en 2019 et 2023, finissant en dernière place et étant reléguée à la Division 1A les deux fois. La France a surtout compétitionné aux Championnats du monde Division 1A (elle a gagné le tournoi en 2018 et 2022) mais a aussi brièvement compétitionné en Division 2 et Division 1B. La France n’a jamais participé aux Jeux Olympiques, même si elle est passée près pour les Jeux de 2022 quand elle a malheureusement été battue 3-2 par la Suède dans le match décisif de leur tournoi de qualification olympique. 

Tel que mentionné précédemment, Aurard était la seule joueuse française qui avait soumis son nom au repêchage de la LPHF cette année. Qui plus est, elle était la seule joueuse française qui était en NCAA en 2022-2023. Sept autres membres de l’Équipe de France ont joué au Canada cette saison-là, toutes au Québec : une en U Sports et six au CÉGEP (i.e., niveau plus jeune). Pour information, le nombre total de joueuses de l’Équipe de France qui ont joué en Amérique du Nord avant la saison dernière est moins d’une douzaine. Récemment, les capitaines Marion Allemoz et Lore Baudrit ont compétitionné en U Sports pour les Carabins de l’Université de Montréal. Les deux ont également joué pour les Canadiennes de Montréal dans la LCHF puis ont déménagé en Suède pour poursuivre leur carrière. Avant elles, seulement une poignée de joueuses de l’équipe nationale, incluant moi-même, ont foulé les glaces nord-américaines après avoir appris à jouer au hockey en France. Sans vouloir insulter mes compatriotes, Aurard est dans une catégorie à part et sa sélection par une équipe de la LPHF semble soutenir cette affirmation. L’impact d’Aurard sur son équipe universitaire américaine a été énorme en jouant sur le meilleur trio avec Müller et on s’attend à ce qu’elle continue à dominer sur la glace dans la LPHF. 

Étant donnée la situation actuelle du hockey féminin en France et son histoire, il n’est pas surprenant qu’Aurard ait choisi de quitter la France mais il est surprenant qu’elle ait réussi à avoir autant de succès malgré cette situation et cette histoire. Quand j’ai joué en France pour la dernière fois à la fin des années 1990, il y avait un nombre limité d’équipes féminines et de joueuses dans le pays et une seule division. En conséquent, les trois meilleures équipes de ce championnat « élite » battaient régulièrement les pires équipes de la ligue par des scores très élevés. Il y a 12 équipes pour la saison 2023-2024 et une seule division mais une division supérieure et une inférieure ont temporairement co-existé (pour comparaison, il y a quatre divisions du côté masculin). Par ailleurs, il n’y avait pas d’équipes de filles, ce qui voulait dire que mon équipe sénior comptait dans ses rangs une jeune de 15 ans car il n’y avait aucune autre option pour elle. Depuis la France a mis sur pied un Pôle France Féminin, un sport-études pour une vingtaine de filles entre 14 et 18 ans, avec comme objectif d’augmenter le niveau de jeu de l’Équipe de France à long terme. Fait surprenant, Aurard n’a jamais intégré le Pôle France mais plusieurs joueuses de l’équipe nationale en ont fait partie depuis les 15 ans de sa création. 

Le hockey professionnel était et continue d’être un concept complètement étranger en France pour les femmes. J’ai joué à Lyon, une des meilleures équipes françaises à l’époque, et était une étudiante de 1er cycle à temps plein. En tant que membre de l’Équipe de France, j’étais sur la liste des athlètes de haut niveau de mon université, ce qui m’octroyait certains privilèges (e.g., absences excusées pour des raisons sportives, délais pour remettre des travaux). Cependant, quelques-unes de mes coéquipières de l’Équipe de France travaillaient à temps plein et ne bénéficiaient pas de la même clémence de la part de leur employeur. Elles devaient, au contraire, négocier des jours de vacances (souvent sans beaucoup de préavis) pour partir à des camps d’entraînement ou des compétitions. Ce n’était pas idéal, cela ne permettait pas d’avoir la meilleure performance sur la glace et cela a sans aucun doute raccourci des carrières prometteuses. J’ai déménagé au Canada pour mes études supérieures et joué quelques parties avec le Mistral de Laval dans la LNHF originale, la ligue précédant la LCHF (à ne pas confondre avec la LNHF qui est éventuellement devenue la PHF). La seule raison pour laquelle j’étais remplaçante pour cette équipe était qu’il n’y avait pas toujours assez de joueuses pour les entraînements et les matchs, en particulier les matchs à l’extérieur. Il y a notamment eu un appel de dernière minute pour rejoindre l’équipe lors d’un déplacement à Toronto avec des joutes planifiées contre Brampton et Mississauga. Je me rappelle encore du choc que j’ai ressenti quand j’ai réalisé que j’allais jouer contre le Thunder de Brampton et ses nombreuses joueuses d’Équipe Canada (nous étions sur nos lignes bleues respectives pour l’hymne canadien quand j’ai vu les noms « Small », « Hefford » et « Sunohara » à l’arrière de leurs chandails. J’avais seulement joué quelques parties avec l’Équipe de France avant de déménager au Canada, et pas sur les deux meilleurs trios, donc je n’étais franchement pas supposée être une des six attaquantes faisant face à ces olympiennes !). Je me rappelle aussi du son de tonnerre qui suivait chaque but de Brampton (« thunder » veut dire « tonnerre » en anglais) et il y a eu de nombreux coups de tonnerre ce jour-là…

J’ai bouclé la boucle plus tôt cette année à Brampton quand j’ai assisté au Championnat du monde et que nous avons eu une mini réunion d’anciennes joueuses de l’Équipe de France durant un des matchs de la France. Ce n’était pas planifié mais différentes générations de joueuses étaient présentes parce que participer à un Championnat du monde au Canada était historique pour la France et que nous ne voulions absolument pas manquer ça. Quand j’avais joué pour l’équipe nationale, j’avais dû porter mon propre casque de club (rouge) parce que nous utilisions l’équipement (blanc) de l’équipe masculine M20 et que leur plus petit casque était encore trop grand pour ma tête. Je suis ravie de rapporter que toutes les joueuses françaises portaient les mêmes casques blancs à Brampton ! De 500 femmes et filles pratiquant le hockey en France à la fin des années 1990 à plus de 2500 récemment, et de participer seulement aux Championnats d’Europe à participer à deux reprises à la plus haute division des Championnats du monde, le hockey féminin français s’est développé. Mes expériences en tant que joueuse des deux côtés de l’Atlantique et ensuite en tant que sociologue du sport dont les recherches portent notamment sur le hockey sur glace féminin me permettent d’avoir une perspective unique sur l’évolution du hockey féminin en France et en Amérique du Nord. Je suis fière d’avoir joué un petit rôle dans cette évolution en tant que joueuse. Je suis encore plus fière des avancées, passées et actuelles, immenses du hockey féminin, avec entre autres la création de la LPHF. Participer aux Jeux Olympiques est le but ultime de la France, ce que nos rivales les plus proches de mon temps, la Slovaquie et la Tchéquie, ont réussi à faire, en 2010 pour la Slovaquie et en 2022 pour la Tchéquie. Chloé Aurard qui va faire partie de l’équipe de New York de la LPHF va, on l’espère, continuer à briller et, si la France atteint un jour cet objectif ambitieux, elle sera sans doute un élément clé de cet exploit historique.

France contre Allemagne au Championnat du monde en 2023 à Brampton, Canada (photo de l’auteure).

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