Boycott? Grève? Que fait la PWHPA exactement?

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Showcase Secret à Toronto en 2020. Photo par Courtney Szto.

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« Les deux grandes armes du travail dans la compétition industrielle sont la grève et le boycott. » (Strikes and Boycotts, 1921)

Du moment où #ForTheGame a été annoncé le 2 mai 2019, le terme « boycott » a été rapidement employé pour décrire les actions de la PWHPA. Du National Post à Sportsnet, et de Sports Illustrated à The Athletic, il a partout été question de #ForTheGame et de la PWHPA comme étant un boycott. Cependant, nous nous devons de reconnaître les faits suivants :

  1. La PWHPA n’a jamais utilisé le mot boycott dans son communiqué original. Au lieu, il a été indiqué qu’« les joueuses, ensemble, nous ne jouerons dans aucunes ligues professionnelles en Amérique du Nord cette saison avant d’avoir obtenu les ressources que le hockey professionnel a besoin et mérite. »
  2. Les joueuses ont fait attention d’éviter l’utilisation du terme boycott autant que possible.

Étant donné que la NWHL est la seule ligue post-universitaire active pour les joueuses d’élite au Canada ou aux États-Unis, cela apparaît certainement comme un boycott de la NWHL. Cependant, #ForTheGame a aussi précisé que si une autre ligue était créée dans un de ces pays et qu’elle ressemblait, de près ou de loin, à la LCHF, ou qu’elle était une autre version de la NWHL, elles ne joueraient pas dans cette ligue non plus. Nous savons également que la NWHL ne pourrait pas accueillir toutes les joueuses de la LCHF et que déménager aux États-Unis serait trop demander aux joueuses canadiennes qui ne font pas partie de l’équipe nationale en raison des difficultés de visas et des salaires inadéquats de la NWHL. En conséquent, alors que le fait de ne pas jouer est d’une certaine manière un boycott de la NWHL (et je suis sûre qu’il s’agit d’un boycott pour certaines joueuses), le mouvement en tant que tel dépasse le boycott ordinaire. Ce qui est en revanche clair dans les écrits sur les grèves et boycotts est que « Grèves et boycotts sont souvent difficiles à distinguer » (traduction libre de « Strikes and Boycotts », 1921, p. 887). Du coup, nous nous retrouvons dans cet espace liminal.

Les boycotts et les grèves ont des limites très floues. Une grève est définie par « un arrêt de travail simultané de la part des travailleurs » et les grèves tombent dans deux catégories générales : « (1) les grèves pour des besoins immédiats, tels que des salaires plus élevés, des journées de travail plus courtes, de meilleures conditions de travail etc. (2) les grèves pour renforcer les syndicats » (traduction libre de « Strikes and Boycotts », 1921, p. 881). Définir une grève n’est pas facile car tous les milieux de travail sont différents et les contextes historiques varient. Ceci étant dit, selon Hyman (1972), une grève est généralement définie comme « un arrêt temporaire de travail par un groupe d’employés dans le but d’exprimer un grief ou faire respecter une demande (traduction libre, p. 17). Malgré que les joueuses de la PWHPA ne soient pas employées par qui ce soit en particulier, le reste de la définition semble correspondre.

En 1921, le Harvard Review a écrit que les boycotts, en revanche, « sont rarement utilisés par le mouvement ouvrier » (traduction libre, p. 885) mais qu’ils sont complètement connectés au monde du travail. Dans les années 1880 alors qu’une série de boycotts s’est abattu sur la ville de New York, le State Bureau of Labor a expliqué que « la grève est une négation. Le boycott est une action » (traduction libre de Gordon, 1975, p. 84). Ils sont déployés, cependant, par les travailleurs après avoir réalisé l’inefficacité de leurs grèves. Ainsi, « les syndicats ont essayé d’empêcher la vente de produits, pas leur fabrication » (traduction libre, italiques dans l’original, p. 186). Les boycotts accompagnaient habituellement les grèves de travail mais les boycotts étaient plus attrayants pour les travailleurs parce qu’ils « trouvaient qu’ils étaient des alternatives moins coûteuses que les grèves » (traduction libre, p. 187). L’origine du terme boycott est à trouver dans l’isolement social et économique dont a été victime le Capitaine Charles Boycott, un mauvais propriétaire irlandais, de la part de ses locataires. Gordon (1975) a écrit que « le terme « boycott de travail » était en effet dérivé des boycotts de la Irish Land League ayant eu lieu à la fin des années 1880 en opposition à des propriétaires récalcitrants » (traduction libre, p. 187). Le but était de nuire économiquement au Capitaine Boycott et à d’autres « employeurs sans scrupules » (traduction libre de Gordon, 1975, p. 187).

On pourrait insinuer que l’intention originale de la PWHPA et de #ForTheGame était de faire s’effondrer la NWHL sous le poids de l’isolement social et économique mais cela n’a visiblement pas fonctionné. La NWHL, à son honneur, est bel et bien en vie. Donc c’est peut-être un boycott « raté » mais, encore une fois, la PWHPA laisse également la porte ouverte à un refus de travailler pour toute autre ligue similaire. En conséquent, alors que la NWHL est affectée de façon évidente par cette suspension du travail, ce n’est pas la seule cible. En effet, rectifier de façon plus générale les conditions inéquitables est l’objectif déclaré. En outre, les grèves sont coûteuses pour les travailleurs en raison de la perte de salaires, ce qui peut être l’aspect le plus important de #ForTheGame : cela coûte plus aux joueuses de ne pas jouer qu’à qui que ce soit d’autre.

***

Le lexique du travail semble toujours se disperser quand on parle de sports. À toutes fins pratiques, la NCAA, la LNH, la MLB, la NBA, et la NFL sont toutes des cartels qui ne s’encombrent pas des lois régulatrices qui s’appliquent à presque tous les autres milieux de travail. Ces ligues n’ont pas de compétition et elles ne permettent pas non plus à la compétition d’entrer librement dans le marché. On les appellerait normalement des monopoles mais puisqu’il s’agit de sports, on les nomme ligues. Ceci peut expliquer pourquoi en 2017 quand l’USWNT a menacé de ne pas participer au Championnat mondial dans le but d’obtenir de meilleures compensations générales et un meilleur soutien pour le hockey des filles, il a été à la fois question dans les médias d’un « boycott » et d’une « grève ». Dans cette liste des « boycotts sportifs » publiée en 2010 par ESPN, figure la grève des pilotes de Grand Prix menée par Niki Lauda en 1972 et on en parle comme ça : une grève. Les boycotts sportifs ont aussi tendance à être plus restreints dans le temps que les grèves. L’USWNT avait spécifiquement ciblé le Championnat mondial. Il en va de même des boycotts olympiques de 1980 et 1984. Avec #ForTheGame il est seulement question de « cette saison », cependant quand nous écoutons les membres de la PWHPA aujourd’hui, elles suggèrent souvent que le Dream Gap Tour pourrait durer des années avant qu’elles obtiennent la ligue qu’elles souhaitent. Comme Marie-Philip Poulin l’a déclaré au National Post à la fin de 2019, « nous voyons la lumière, [mais] c’est peut-être plus loin que ce que l’on pensait. »

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1964 l’Afrique du Sud est bannie des Jeux Olympiques de Tokyo en raison de l’apartheid. Photo par BT.com.

J’ai demandé à Nathan Kalman-Lamb, un professeur de l’Université Duke spécialiste (entre autres) des questions de travail et sports, son opinion sur les actions de la PWHPA. Selon Kalman-Lamb, les boycotts font référence au « refus de s’engager dans une quelconque activité économique » et cela pourrait inclure des activités telles que le commerce, le voyage, la consommation ou le travail. Ils sont généralement utilisés pour faire des changements par rapport à des questions non reliées au travail or pour le travail d’autres personnes. Par exemple, quand les consommateurs ont été encouragés à boycotter Nike en raison des conditions de travail dans ses ateliers clandestins, c’était un boycott pour forcer Nike à changer ses conditions de travail mais ce n’était pas mené par les travailleurs eux-mêmes.

À l’inverse, Kalman-Lamb utilise une perspective marxiste pour fournir l’explication suivante:

Cela donne l’impression d’être une grève dans la mesure où le cœur du problème est d’avoir leur mot à dire quant aux moyens de production en quelque sorte. En effet, le Dream Gap Tour est une espèce de manifestation du désir radical de s’emparer des moyens et de contrôler le spectacle qu’elles produisent. À cet égard, c’est fondamentalement une action de travail au-delà de la logique de syndication et de négociation collective.

Encore une fois, le point majeur pour la PWHPA est que les joueuses n’ont pas d’employeur et ne forment donc pas un syndicat. Cependant, elles sont des travailleuses sportives qui expriment leur mécontentement. Ce qui indique aussi que #ForTheGame est plus proche d’une grève que d’un boycott est que le public n’aime habituellement pas les grèves de travail. L’opinion publique estime souvent que les grèves ne sont pas nécessaires et/ou sont irrationnelles. L’animosité que la PWHPA a soulevée est en partie due au fait que les joueuses sont simplement vues comme étant avides d’argent (mais personne ne joint une équipe féminine pour devenir riche) or que leur méthode ne fait aucun sens parce que leurs efforts seraient plus utiles s’ils permettaient d’attirer des commanditaires et des partenariats vers la NWHL. Pour autant, nous savons que les plus importantes améliorations de conditions de travail ont tendance à arriver suite à la perturbation sociale causée par les infirmiers/infirmières, les enseignants/enseignantes, les éboueurs/éboueuses et autres groupes syndiqués quand ils affectent le grand public. On nous force à porter attention.

Peut-être qu’il serait plus juste de parler de #ForTheGame comme d’un type d’action revendicative qui comprend les différentes façons dont les travailleurs peuvent remettre en question leurs conditions de travail et inclut les grèves, les boycotts, les interdictions de temps supplémentaire, les grèves perlées, les grèves du zèle, et les sit-in. Les actions revendicatives, comme les manifestations, sont supposées déranger et c’est ce dérangement qui rend les gens mal à l’aise. De la même façon que les manifestations ont pour but de faire des avancées au niveau social, l’action revendicative cherche à accélérer le progrès en milieu de travail. En guise d’analogie, la jeune Greta Thunberg cause du trouble au niveau politique dans le but de provoquer un changement social et culturel et nous mener vers un futur plus durable. Tout le monde n’est pas d’accord avec ses méthodes parce que non seulement elle exige du progrès mais elle exige aussi un changement de paradigme. La PWHPA demande aussi un changement de paradigme et c’est exactement ce qui place #ForTheGame dans un espace à part. Nous avons essayé le statu quo et nous marchons encore malgré tout vers une catastrophe climatique. Nous avons essayé le statu quo et la NWHL est encore malgré tout incapable d’offrir des salaires qui permettent à une athlète de vivre du hockey exclusivement. Ce n’est pas tant que la NWHL n’est pas sur la bonne voie. C’est plutôt que le hockey féminin est tellement en retard par rapport aux autres sports d’équipe féminins qu’il a besoin du choc d’un défibrillateur pour juste les rattraper. C’est là qu’arrive la PWHPA.

Personnellement, je pense que l’existence des deux groupes est mutuellement bénéfique: d’un côté, la PWHPA peut indiquer que la NWHL n’a évidemment pas les ressources dignes d’athlètes d’élite ; de l’autre, la NWHL prouve que les gens sont prêts à regarder du hockey féminin quand on y met assez d’effort. Les défibrillateurs ne marchent pas toujours mais la base des premiers soins nous enseigne que ça vaut quand même la peine d’essayer. Que vous pensiez que la PWHPA « mérite » ou a « gagné » le droit d’exiger un tel changement vous regarde mais leur but est assez simple : une mesure drastique pour créer un changement drastique. Si la définition de la folie est de répéter la même chose et de s’attendre à un résultat différent, alors le bon sens est perçu comme anti-normatif.

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Gigi Marvin et Victoria Bach. Showcase Secret à Toronto en 2020. Photo par Courtney Szto.

Voici un fait indéniable à propos de ceux qui militent en faveur de changements drastiques: ils repoussent les limites pour tous, dans un sens ou dans l’autre. Donal Trump et Alexandria Ocasio-Cortez sont à l’opposé du spectre politique mais tous deux ont poussé dans leurs derniers retranchements les modérés auto-proclamés de leurs partis respectifs. Quand quelqu’un propose un programme « extravagant », on se doit de réagir, qu’on le veuille ou non, et la NWHL a réagi quand la PWHPA est entrée en lice. Le partage de revenus moitié-moitié, une saison plus longue, et une augmentation des allocations journalières et des salaires proclamés par la NWHL le 23 mai ont sans aucun doute tous été en réaction à l’annonce de #ForTheGame du 2 mai et la formation de la PWHPA le 20 mai.

Que l’on croie que c’est une grève ou un boycott dépend des aspects de #ForTheGame que l’on veut privilégier (ou non), et/ou si on se voit soutenir le travail ou le capital. Ceci dit, je pense qu’en faisant seulement référence à un boycott on minimise la mission de la PWHPA et de #ForTheGame. À ce point-ci, c’est à la fois un boycott et une grève, et ni un boycott, ni une grève. C’est une déclaration sans précédent pour l’égalité des sexes contre des conditions de travail injustes dans un environnement qui comprend la NWHL. Peut-être que le nom que nous recherchons était là dès le départ: #ForTheGame.

Travaux cités

Gordon, M.A. (1975). The labor boycott in New York City, 1880-1886. Labor History, 16(2), 184-229.

Hyman, R. (1984). Strikes, 3ème édition. Fontant Paperbacks.

Strikes and Boycotts. (1921). Harvard Law Review, 34(8), 880-888. doi:10.2307/1329726

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